Récit par Jean-Philippe CORBEFIN
Samedi 22 Juin, j’arrive à Marseille pour participer à la Massilia Cup Offshore avec mon ami d’enfance Philippe PERRIN, ancien membre du YCPL, qui possède Archimed, un A35 à Marseille au pôle course du CNTL.
Cette course change de destination en alternance entre la Corse et Barcelone une année sur deux.
45 bateaux au départ, plusieurs classes sont représentées (mini 650, Class40, Osiris équipage, IRC solo, IRC duo). Nous sommes inscrits en IRC duo.
Samedi 14h00, briefing sécurité dans le sous-sol du CNTL, la salle de réunion est comble et attentive. Les organisateurs expliquent la conduite à tenir dans les situations d’urgence telles un hélitreuillage, abandon de navire… l’atmosphère donne l’impression de s’être engagé dans une route du rhum.
D’autant plus qu’une balise émetteur GPS de tracking est installée sur les bateaux et permet aux proches et amis de nous suivre en temps réel sur une application.
Les organisateurs réduisent le parcours par crainte d’un manque de vent dans la zone Minorque, ainsi, au lieu de virer Minorque, nous allons virer une bouée virtuelle au nord de Minorque.
Le départ approchant, j’ai fait tourner de nombreux routages avec divers fichiers météo, et la situation est claire : ce sera du reaching vent fort, conditions où le A35 n’a aucune chance comparé aux JPK bi-safrans modernes tels que les 1010 et 1030.
Les conditions sont Mistral à 90/100° apparent au départ 25 noeuds puis Tramontane plus forte ensuite (jusqu’à 35kt)
Handicap supplémentaire, nous ne disposons pas de A5 sur delphinière (asymétrique de reaching vent fort) qui est vraiment la voile pour la descente vers la bouée virtuelle.
Contrairement aux bi-safrans ainsi équipés, nous savons que nous ne pourrons pas spier.
Cependant, en observant les routages, tout n’est pas perdu : en effet, on observe sur la gauche de la route un retour de vent d’Est qui crée une zone de calmes très proche de la route calculée sur la gauche. Le logiciel de routage prend souvent un risque dans ces conditions : pour limiter le détour, il fait tangenter les zones de calme. Une bonne stratégie consiste à prendre une marge de sécurité au cas où la zone de vent faible serait plus décalée vers la route.
Les bateaux qui peuvent spier risquent d’avoir du mal à tenir la droite de la route avec la possibilité de tomber dans la mole d’Est qui tangente la route calculée.
Nous, au contraire sous grand-voile et J3, auront la possibilité de loffer pour prendre la droite de la route quitte à faire du bon plein.
N’ayant aucune chance en vitesse, nous décidons de prendre la route à droite du routage pour entrer plus que le reste de la flotte dans le golfe du Lion, espérant que la mole annoncée à gauche de la route retarde les concurrents qui peuvent spier.
Départ dimanche à 15h00 dans un Mistral 20-25 kt suite au départ des 6.50 sur une ligne de départ suffisamment grande pour tous les Class40, IRC et Osiris.
Nous sommes vite le bateau le plus à droite de la route. Ainsi notre destin est suspendu à l’envahissement de la route par cette mole d’Est.
Les conditions de mer sont dures la soirée et la nuit avec un bateau dur à barrer dans une mer forte et très désordonnée.
Au petit jour nous arrivons sur la bouée virtuelle sans savoir si les concurrents à gauche de la route sont tombés dans la mole d’Est.
En enroulant le point GPS de la bouée virtuelle, nous retrouvons le contact visuel avec certains concurrents mais sans aucune idée de notre classement.
Nous partons au bon plein à 8kt dans 30kt de vent dans une houle longue et forte plutôt de face, direction Barcelone.
Sur les fichiers de vent pris lorsque nous avions encore du réseau terrestre, nous savons que nous nous dirigeons vers des zones de calmes qu’il faudra traverser pour atteindre Barcelone.
Lundi, en début d’après-midi, nous voilà regroupés à 6-7 bateaux dans ces calmes. Nos bords sont étranges : soit les bateaux partent vers Marseille, soit vers Minorque. En cause un courant venant de Barcelone que nos vitesses ne nous permettent pas d’étaler. Voilà un après-midi crise de nerfs !
En soirée une légère brise arrive de la terre et nous nous dirigeons enfin vers Barcelone.
Un problème nous préoccupe : il faudrait faire un routage avec les fichiers dont nous disposons pour choisir le bon côté du cadre en fonction d’une éventuelle rotation du vent ou s’il y avait plus de pression d’un côté. Lors des éditions précédentes, la proximité de Minorque permettait de prendre des fichiers météo à jour pour le routage entre Minorque et Barcelone. Sans surprise, il n’y avait pas de réseau à la bouée virtuelle et donc ma négligence nous prive de fichiers météo avec une couverture suffisamment longue dans le temps. Ainsi nous ne connaissons pas les conditions qui nous attendent pour la suite.
Donc nous nous concentrons sur la vitesse avec un certain succès en déposant pas mal de concurrents dans ce petit médium au près que le A35 affectionne.
Certains concurrents décroisent la flotte par l’arrière pour choisir la gauche du cadre.
L’avenir leur donnera raison, puisque le vent prend ensuite de la gauche. Nous payons ma négligence en nous faisant repasser par quelques concurrents que nous avions déposés en vitesse.
L’arrivée sur Barcelone en fin de nuit de lundi à mardi me permet d’avoir du réseau et de constater sur l’application web de tracking que :
- nous serons cinquième
- les premiers sont les JPK bi-safran comme prévu
- Les trois premiers nous ont mis plusieurs heures qu’il sera impossible de reprendre puisque le classement final est fait par la somme des temps des deux étapes.
- Le scénario météo que j’avais espéré ne s’est pas produit.
- Nous sommes le premier mono-safran , ce qui était mon second espoir si le scénario météo était défavorable.
Dans le chenal du port de Barcelone, une surprise nous attend : un Class America est en cours de grutage. C’est le défi français dont la base est à l’entrée du port de commerce.
Nous aurons deux jours OFF à Barcelone où nous sommes toujours très bien reçu au Real Club Nautico de Barcelona avec sa piscine en terrasse.
Première urgence : dormir jusqu’à midi.
Resto en terrasse à midi le long du chenal à Port Veil et seconde surprise : nous voyons le Class America français reculer à la voile sans tender à ses côtés puis prendre le vent à marche avant dans le chenal pour sortir à la voile. Nous verrons sur les deux jours OFF des Class America remorqués dans le chenal ainsi que leurs manutentions sur les différentes bases réparties à différents endroits du port.
Jeudi 11h00 départ de l’étape retour vers Marseille. Les trois premiers ayant accumulé plusieurs heures d’avance, nous avons peu d’espoir de remonter plus haut que la quatrième place. C’est clairement notre objectif réaliste de ravir cette quatrième place au JPK 1010 Jubilation qui est à notre portée.
Du petit temps compliqué est annoncé, mais le A35 aime ça. Un parfum de revanche règne sur Archimed.
Nous prenons un départ correct et constatons que le vent est plus fort que prévu. Pas grave c’est du prés et nous sommes à l’aise dans ce tricotage le long de la côte catalane.
Je constate régulièrement que les observations ne correspondent pas aux fichiers grib.
Ainsi, plutôt que le routage, nous allons utiliser l’observation des vitesses des concurrents autour de nous et devant nous (class40) avec l’application de tracking tant que nous avons du réseau terrestre et ensuite avec l’AIS.
Cette démarche porte très vite ses fruits et nous nous retrouvons en tête de la flotte alors que le vent baisse.
Les fichiers gribs concordent tous sur une mole autour du cap Bagur dont nous nous éloignons. Les class40 sont proches et leur vitesse AIS nous indique les côtés de la route où il y a le plus de vent.
Jeudi en fin de journée, le vent est presque nul et il en sera ainsi une bonne partie de la nuit.
Nous arrivons à toucher le vent les premiers, ce qui nous permet de creuser l’écart dès le milieu de nuit.
Vendredi matin, le vent est de nouveau très faible, mais nous espérons avoir creusé un écart important n’ayant qu’un concurrent en visibilité derrière nous et très peu en portée AIS.
Vendredi après-midi, le vent arrive sur une allure de bon plein et va monter graduellement jusqu’à 10 nautiques de Marseille.
Nous visons le phare du Planier, et à ce moment-là, nos concurrents sont à plus de 20 nautiques derrière nous (soit plus de 4 h) et nous sommes virtuellement 1er… si nous maintenons cet écart.
Vu que le vent n’est pas très fort, et que les JPK 1030 aux deux premières places nous doivent du temps en IRC, nous pouvons jouer à ce moment la victoire… pourvu que le vent ne monte pas.
A l’approche du phare du Planier, le vent baisse.
Nous nous sommes forcés à beaucoup dormir dans la journée de vendredi pour être au top sur une nuit d’arrivée prévue compliquée.
Nous apercevons juste à l’horizon Blue007 que nous avons toujours réussi à garder derrière nous. C’est un JPK 1010 mené par un excellent régatier mais solitaire donc pas classé avec nous. Même si nous ne serons pas classés ensemble (solos et duos), pas question de le laisser passer devant !
A l’approche du Frioul le vent tombe sérieusement et nous voyons Blue007 revenir sur nous avec un A5 gréé. Il essaye de monter à notre vent pour nous masquer. Nous sommes à l’arrêt sans vent.
Avec l’inertie accumulée, il arrive à se positionner à notre vent mais nous sommes tous les deux dans le dévent du Frioul. Le vent est nul, nous sommes côte à côte. La correction m’interdit de décrire le sentiment d’injustice qui nous envahit.
Avec son A5, il démarre avant nous et s’échappe juste devant nous. nous sommes sous-toilé. Les deux bateaux glissent le long des falaises du Frioul qui nous déventent.
Il y a beaucoup de lune et je vois que devant lui il n’y a aucun vent. Le suivant, nous observerons le moment où son spi s’effondre pour abattre à ce moment et passer sous son vent afin de nous éloigner du dévent de la falaise. Cela paye rapidement, nous touchons le vent avant lui et nous nous échappons définitivement et finirons avec 10 minutes d’avance sur Blue007. Cette lutte (futile car nous ne sommes pas classés dans la même catégorie) sans vent a certainement duré deux heures. Cela pour parcourir une distance qui demande 10 minutes avec du vent. Mais la satisfaction d’être le premier IRC à franchir la ligne est acquise.
Nous venons juste de franchir la ligne dans ce vent très faible qu’un problème arrive : le vent rentre ! Et nos poursuivants vont mettre 10 minutes pour parcourir ce qui nous a pris deux heures. Immédiatement nous regardons sur l’application de tracking des bateaux pour constater qu’ils ont touché du vent depuis un bon moment et ont bien rattrapé leur retard. Le passage de Frioul avec du vent ne sera qu’une formalité. Pas besoin de calculer pour anticiper que nous ne pourrons pas faire mieux que gagner la quatrième place qui était à notre portée.
Finalement nous sommes satisfaits, car nous gagnons l’étape du retour en temps réel et compensé. C’est une première pour nous.
Nous avons très bien géré notre sommeil en dormant par siestes d’ une heure, nuit et jour dès le départ. Il peut paraître étrange d’aller s’allonger à l’intérieur une heure après le départ, sans fatigue, et pourtant c’est très efficace :
- En juin la durée d’ensoleillement est très longue et se protéger du soleil apporte un apaisement.
- De la même manière, ne plus avoir à compenser les mouvement du bateau repose
- Enfin, fermer les yeux diminue l’activité cérébrale de 20%
Prochaine course en double prévue : la Quadra Solo Duo Med, dernière semaine d’août. C’est vraiment la course que nous préférons avec une intensité et un niveau très élevé.